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Interview du Dr François PERROGON - Président de l'Association pour l'Information Médicale en Esthétique (AIME) par image002
La chirurgie esthétique rime-t-elle avec éthique ou médiatique ?
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Au hit parade de la médecine spectacle, la chirurgie esthétique, ses réussites surtout, ses excès parfois, ses revers plus rarement.
Luxe et paillettes laissent trop souvent dans l'ombre la cohorte des patients insatisfaits, réopérés, ratés, abîmés.
Une association, AIME (Association pour l'Information Médicale en Esthétique), se place résolument de leur côté en développant la prévention par l'information.
Un site permet d'obtenir ces informations en ligne : INFOESTH
Entretien avec son responsable, le Dr François PERROGON.
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Club-medical.com. Comment vous êtes-vous intéressé à la chirurgie esthétique ?
Docteur François PERROGON. En 1990, j'ai rencontré deux patients qui s'estimaient "ratés" et me demandaient comment faire pour obtenir réparation aussi bien sur le plan esthétique que juridique. En cherchant de la documentation, j'ai constaté le fossé existant entre le discours des chirurgiens esthétiques, seule source d'informations, et les plaintes des patients. C'est ainsi que j'ai été amené à écrire "le Guide de l'Esthétique", avec un propos médical orienté dans l'intérêt du patient.
Au moment où le livre est paru, des lecteurs m'ont suggéré de créer une association pour répondre de façon plus interactive aux candidats à la médecine et la chirurgie esthétiques.
L'association AIME s'est créée en 1991.
Une question se pose, celle de la compétence des praticiens.
N'importe quel médecin peut pratiquer la chirurgie esthétique ?
Docteur François PERROGON. Depuis les décrets d'application (2005) de la loi de mars 2002, les praticiens doivent théoriquement être "compétents" ou "qualifiés" pour exercer en chirurgie esthétique. Il existe en fait deux sortes de praticiens, ceux que l'on pourrait appeler "généralistes" et qui sont habilités à pratiquer toute chirurgie esthétique du corps. Par ailleurs, des praticiens peuvent - dans leur domaine de spécialité - pratiquer des interventions esthétiques comme par exemple un ORL pour la chirurgie esthétique du nez, un ophtalmologue pour la chirurgie esthétique des paupières etc.
La plupart des chirurgiens esthétiques pratiquent également dans le domaine de la médecine esthétique (injection d'acide hyaluronique, toxine botulique...).

Quant aux "médecins esthétiques", ils ne font pas de chirurgie, mais des "petits" gestes, injections de collagène, peeling, laser...etc. Il est impossible d'évaluer correctement leur formation en l'absence de cursus officiel, même si un DIU (Diplôme Inter Universitaire) a été mis en place, d'autant qu'un bon nombre de techniques pratiquées dans ce domaine sont très discutables (études rares et de mauvaise qualité / conflits d'intérêt...).
Afin d'éviter autant que possible certaines déconvenues, il est indispensable de vérifier auprès de l'Ordre des médecins la spécialité et les véritables compétences des médecins auxquels on s'adresse.
L'insuffisance des plateaux techniques est-elle aussi flagrante qu'on le dit ?
Docteur François PERROGON. Nous avons tous en mémoire des exemples de complications graves voire fatales, dues à l'absence de salle de réveil ou de suivi post-opératoire. Mais ces cas sont rares, et les "ratés" de la chirurgie esthétique sont beaucoup plus souvent le fait du chirurgien que de l'établissement.
Le magazine Le Point établit chaque année un classement des structures pratiquant la chirurgie esthétique. Mais les critères de choix peuvent être discutés. Ainsi quand l'article du Point cite une clinique ou un CHU, le service "esthétique" comporte plusieurs praticiens qui ne sont pas nécessairement tous aussi "compétents". Par ailleurs, les médecins changent souvent de clinique ou de service.
Le choix doit être plutôt axé sur le chirurgien, et non sur l'établissement. A priori, un bon chirurgien s'entourera d'un bon plateau technique et des meilleures conditions de sécurité. Notons que consulter dans une structure hospitalière peut être délicat dans la mesure où les consultations - et les interventions - peuvent être effectuées dans un cadre "publique" ou "privé". Dans le premier cas (publique), le praticien pourrait être un chirurgien en cours de formation, ce qui permet des tarifs généralement moins importants mais ce qui peut également inquiéter un patient qui cherche la plus grande sécurité et le meilleur résultat possible...
Le principal reproche qui est fait, même aux chirurgiens compétents, n'est-il pas de mal informer les patients ?
Docteur François PERROGON. Depuis l'arrêt de la Cour de Cassation de 1997 puis la loi de mars 2002, les praticiens doivent non seulement apporter une information aux patients, mais fournir la preuve qu'elle a été correctement délivrée.
Malgré cela elle reste tronquée, et le praticien se contente souvent de faire signer un document plus ou moins détaillé avec souvent des omissions qui peuvent avoir des conséquences pour le patient.
Prenons l'exemple des prothèses mammaires, pour lesquelles la demande reste très forte malgré l'affaire PIP, chez des femmes de plus en plus jeunes : les chirurgiens annoncent 5 % de coques qui nécessitent une ré-intervention. Or un certain nombre d'études convergent actuellement pour dire qu'à 10 ans, il y a formation de coques inacceptables (stade III et IV de Baker) dans 50 à 75 % des cas. Et toutes complications confondues - infections, hématomes, coques, ruptures de prothèse, mauvais résultat esthétique...etc. - c'est peut-être 95 à 100 % des patients qui devront être réopérées dans les 20 ans. Pour ma part, je vois des femmes qui ont été opérées 3, 4 ou 5 fois en 10 ans !
Il est inadmissible de ne pas donner une information correcte et complète. 
Si une intervention se révèle nécessaire, qui la prend en charge ?
Docteur François PERROGON. Pour rester dans le cas des prothèses mammaires, si elle survient dans les 6 à 12 premiers mois, la plupart des chirurgiens proposent une ré-intervention "à moindre frais" : le patient règle le coût de l'anesthésiste et de la clinique, le chirurgien prend à sa charge le remplacement de la prothèse sans demander d'honoraires. Mais il oublie souvent de dire que les prothèses étant garanties 10 ans, l'industriel est théoriquement tenu de lui en retourner gratuitement si la rupture est précoce.
De toute façon, même si la patiente ne paie que 1500 euros au lieu des 5000 euros lors de première intervention, la situation est anormale car sa décision initiale n'a pu être prise en toute connaissance de cause. Avant de les opérer on aurait du leur conseiller d'économiser aussi pour les ré-interventions futures...
On critique souvent les relations un peu trop étroites de la chirurgie esthétique avec l'argent, la célébrité.
Mais n'est-ce pas ce côté brillant qui attire les patients au moment de choisir un chirurgien ?
Docteur François PERROGON. Les patients sont souvent attirés par un chirurgien connu qui consulte dans un environnement luxueux : si le chirurgien est riche, c'est qu'il est bon... sans voir qu'il est parfois plus efficace en relations publiques qu'en esthétique. Il y a heureusement des gens tout à fait extraordinaires parmi les chirurgiens esthétiques, mais il y en a malheureusement trop qui "font de l'esthétique" pour gagner de l'argent rapidement.
Je déconseille plutôt de consulter des praticiens "vus à la télévision". Le prétexte officiel est celui d'informer les patients, mais dès que son nom est cité, cela devient de la publicité du point de vue déontologique. Pourtant, cette transgression est admise par les journalistes, le Conseil de l'Ordre des Médecins... Par ailleurs un chirurgien présent dans les médias (télé / journaux...) aura subitement une augmentation des rendez-vous : les prix vont souvent augmenter...et le temps passé pour les consultation / intervention diminuera vraisemblablement en proportion !
Vous dîtes que pour obtenir réparation, le parcours du patient est un enfer.
La collusion entre experts et médecins, souvent dénoncée, existe-elle toujours ?
Docteur François PERROGON. Les experts, chirurgiens esthétiques eux-mêmes la plupart du temps, reconnaissent difficilement - on peut les comprendre - que leurs confrères aient pu commettre une faute. Les comptes-rendus d'expertise sont très fréquemment favorables au praticien, l'expert du moment n'oubliant pas qu'il pourrait être l'accusé la prochaine fois.
Un patient "raté" culpabilise d'avoir osé toucher au corps, ce qui est souvent à l'origine de dépressions "réactionnelles" parfois graves avec tentative de suicide. Quand ce patient - déjà psychologiquement déstabilisé - passe en expertise, c'est l'effondrement. Une phrase revient souvent : "C'est pourtant moi la victime, mais c'est moi qui me suis senti accusé".
Une blessure de plus pour le patient s'il n'a pas à ses côtés un avocat spécialisé dans ce domaine aidé d'un médecin de recours, car il doit affronter un expert trop souvent acquis au chirurgien et un avocat adverse généralement rompu à ce genre d'affaires.
Mais les patients n'attendent-ils pas trop de la chirurgie esthétique ?
Docteur François PERROGON. Il faut dire que la pression médiatique est de plus en plus forte sur le sujet. Les critères de la "bonne apparence" sont pratiquement inatteignables, voire virtuels puisque peaufinés par photoshop. En fait, une bonne partie des "ratages" de la chirurgie esthétiques sont des échecs psychologiques : les patients ont surinvesti l'acte chirurgical dont le résultat ne peut être à la hauteur d'une demande si celle-ci est excessive. On peut parler pour certains de ces patients d'une mauvaise indication opératoire : le meilleur traitement aurait été un travail psychologique.
En effet, derrière le désir de chirurgie esthétique, il existe souvent des éléments inconscients qu'il est bon de travailler avec un psychologue. Une partie des patients qui ont une demande de correction esthétique sont des sujets fragilisés. Le scalpel ne peut pas résoudre dans ce cas un problème existentiel. Je les encourage donc fortement à pratiquer auparavant un bilan psychologique chaque fois que possible, même s'il existe des réticences de leur part. Très peu de chirurgiens ont cette démarche de les adresser à un psychiatre/psychologue. Pourtant il est indispensable que le patient réfléchisse avant tout sur lui-même et sur sa motivation, sinon sa souffrance risque d'être encore plus vive après l'intervention.
Quelle aide propose AIME ?
Docteur François PERROGON. Nous donnons à nos adhérents toute l'information nécessaire avant une intervention de médecine ou de chirurgie esthétique en les accompagnant jusqu'à l'intervention, et au-delà si nécessaire.
Nous proposons à ceux qui veulent se faire opérer un entretien préalable d'une heure au siège de l'association. La discussion porte sur la recherche du "bon praticien", les bénéfices et risques de l'intervention, les solutions en cas d'un éventuel "ratage / insatisfaction"... Nous montrons des photos d'interventions réussies... et moins réussies, des témoignages... Nous ne conseillons pas de chirurgien en particulier, mais préconisons d'en consulter 2 ou 3 sur la liste proposée par l'Ordre. Nous expliquons les différences entre praticiens exerçant la chirurgie esthétique dans leur domaine de compétence et ceux titulaires de la spécialité en chirurgie plastique, reconstructrice et esrthétique.
Pour choisir "son" chirurgien, les critères sont notamment la formation, la qualité de l'écoute et de l'information délivrée, la mention explicite et correcte des risques... Bien souvent, les propositions des praticiens diffèrent de l'un à l'autre, ce qui montre d'ailleurs à quel point cette discipline médicale manque de consensus... Nous suivons les adhérents au cours de leur démarche et les revoyons après l'intervention afin de vérifier que tout s'est correctement déroulé.
D'autres personnes viennent à l'association parce qu'elles s'estiment "ratées" ou en tout cas insatisfaites. Nous suivons alors deux démarches différentes : l'une pour les aider à obtenir une réparation juridique - à l'amiable si possible avec le praticien et son assurance - l'autre pour les assister dans la recherche d'un chirurgien capable de récupérer le préjudice.
Depuis quelques mois, le site Internet INFOESTH (www.infoesth.com) permet à ceux qui ne peuvent se déplacer d'avoir des éléments pratiques d'information et d'aide à la décision, décision qui peut engager l'avenir...
 
Pour en savoir plus :
 
AIME, association loi 1901
Siège : 49, rue PAJOL - 75018 - PARIS
Tel. du lundi au vendredi de 14 h à 19 h 30 : 01.42.09.41.10
Site internet : www.infoesth.com
 
*Le Point, N°1506, 27 juillet 2001.
 
Auteur : Dr Maia BOVARD
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